Hotel Designer - Hotel Architect – Maidenberg Architecture

Le Monde supplément

La nuit design

Entre les standards des chaînes hôtelières et les palaces, émergent partout en Europe des petits hôtels de charme qui font de leurs chambres des bijoux de design où il fait bon vivre comme à la maison… En plus beau. Visite parisienne.

Ils s’appellent Joyce, Jules, Recamier, Fontaines du Luxembourg, Petit Paris. Leurs adresses, on se les confie de bouche à oreille. Leur clientèle ? Celle pour laquelle un hôtel est avant tout une maison qui ne se conçoit pas sans âme. Et ce nouveau phénomène porte ses fruits puisque stars discrètes, notables de province ou grosses fortunes des émirats, lasses du luxe flamboyant des grands palaces, les fréquentent de plus en plus. C’est tout dire. Certes, ici, le service n’est pas celui d’un cinq étoiles. Et alors ? D’autres paramètres compensent ce manque apparent : le charme, la discrétion, l’intimité et une manière de vous faire croire que vous êtes ailleurs tout en étant chez vous une fois le seuil franchi. Les raisons de ce délicieux dépaysement ? Un objet familier, un parfum singulier, un éclairage, un feu de cheminée, un meuble design, la couleur d’un tissu. Adieu donc la monochromie bon ton, le sempiternel triptyque beige, grège, blanc, le mobilier minimaliste, fonctionnel et clinique, les lumières aseptisées des grandes chaînes hôtelières. Bienvenue à la couleur, aux motifs psychédéliques, aux meubles de créateurs. Ici, l’affect l’emporte sur le paraître, le sens du détail sur le cliché, le côté bohème sur le politiquement correct. Pour répondre à cette nouvelle philosophie, la décoration a donc été confiée à la fine fleur de l’architecture d’intérieur d’aujourd’hui. Pas forcément les Jacques Garcia, Pierre-Yves Rochon, Ed Tuttle, Didier Gomez, Alberto Pinto… mais les autres, les valeurs montantes, les Sybille de Margerie, Tristan Auer, Fabrice Ausset, Jean-Louis Demot… La relève en sorte ! Ces derniers, jeunes et branchés, ont misé sur d’autres critères, la poésie, le souvenir, la corde sensible… pour attirer une nouvelle clientèle sans pour autant éloigner les habitués. « L’idée est de proposer une sorte de découverte, explique Fabrice Ausset, décorateur des Fontaines du Luxembourg, à Paris, une autre forme de séjour, une expérience sans prétention. » Charge donc aux décorateurs de donner du sens à la patine d’un mur, à la texture d’une matière, à un tissu, de faire travailler les meilleurs artisans, de chiner les objets ou de dessiner des meubles qui s’inscrivent dans une époque. En un mot, d’éviter le total look. « J’ai privilégié le côté très privé du lieu, confie Jean-Louis Deniot, décorateur du Recamier à Paris. L’hôtel est conçu comme une maison de ville particulière. » Bref, les décorateurs y mettent autant de passion que s’ils réalisaient un cinq étoiles. Mieux, leur propre demeure. « Le danger est de tomber dans la reconstitution historique et le pastiche », explique Sybille de Margerie, décoratrice du Petit Paris, un hôtel dans le Ve où se côtoient les dernières créations de maisons comme le Lehevre ou Pierre Frey, parmi des meubles contemporains sur mesure et des photos de Paris signées Roman. Dans la plupart de ces nouveaux hôtels, les chambres sont souvent exigües, les salles de bains dessinées au cordeau. Pour cela, pas d’alternative ! Tout casser puis tout rebâtir. Concrètement, modifier les volumes, retravailler l’éclairage, crée une petite salle de petit déjeuner là où il n’y a souvent pas de salle de restaurant (détail de peu d’importance, car ces hôtels sont souvent situés dans des quartiers nantis en bonnes tables).

En revanche, tout l’arsenal high tech d’aujourd’hui suit. On a beau avoir quelques étoiles de moins que les grands palaces, on n’a pas à rougir de ses prestations : air climatisé, accès au wi fi, room service, salle de fitness  et de massage parfois, et attention toute particulière apportée à l’économie d’énergie, comme à l’Hôtel Joyce, à Paris, qui utilise les ampoules à basse consommation, équipe ses robinets de « mousseurs » limitant le débit d’eau, propose des petits déjeuners bio.

Mais le secret de ces nouveaux lieux réside également dans la relation très particulière qu’entretiennent les propriétaires avec leurs décorateurs, auxquels ils donnent la plupart du temps carte blanche. Et Philippe Maidenberg, décorateur du Joyce, de le confirmer : « C’est sans doute le lieu le plus personnalisé que j’ai réalisé, dit-il. J’ai toujours eu avec mon client une très grande complicité. Cela fait quinze ans que nous travaillons ensemble. » Normal donc que de bonnes ondes planent sur ces demeures traitées comme de véritables histoires personnelles. « Chaque projet est différent, admet à son tour Sybille de Margerie. Chaque chantier est unique. Tout cela est un peu de la haute couture. »

[…] [On retrouve un] sens du métissage à l’Hôtel Joyce (groupe Astotel) situé rue La Bruyère, dans le Ixe arrondissement. Face au desk composé de tours Eiffel dessiné par l’architecte du lieu Philippe Maidenberg (il a fait ses classes avec Ieoh Ming Pei pour le chantier du Grand Louvre), une longue banquette en cuir blanc matelassé cohabite avec une horloge de George Nelson des années 1960 éditée par Vitra, un fauteuil africain de Cheick Diallo, un parquet éclairé par fibre optique. « Ce fut une complète réhabilitation, avoue le décorateur. La déco en revanche, je dirais qu’elle est un peu de bric et de broc. » Il n’empêche, l’harmonie est au cœur de cette démonstration subtile où rien n’est anecdotique. Dans la salle à manger éclairée par une verrière, les fauteuils d’anciennes voitures font face à des Thonet complètement inédits, les murs sont décorés de miroirs inclinés, histoire de perdre le nord, et le grand lustre en forme de nuages (Vialuce) nimbe le tout d’une lumière opalescente. Même sens du détail pour les 44 chambres sur lesquelles souffle l’esprit de Fornaseti et dont le mobilier est signé Patricia Urquiola ou Philippe Starck. Passionné de couture, de musique et de théâtre, Philippe Maidenberg s’est même inspiré du modèle d’un de ses pantalons prince-de-galles pour dessiner la moquette. […]